|
Le Génocide d'Oran
Ce jeudi 5 juillet ne paraissait pas devoir être, à Oran, une journée plus angoissante que les autres. Comme depuis cinq jours, les Oranais s'éveillaient dans les rumeurs d'une foule qui avait déjà envahi la rue,.....
Accueil > > > Oran 05.07.1962
|
Le Génocide d'Oran du 05.07.1962
Ce jeudi 5 juillet ne paraissait pas devoir être, à Oran, une journée plus
angoissante que les autres. Comme depuis cinq jours, les Oranais
s'éveillaient dans les rumeurs d'une foule qui avait déjà envahi la rue,
ivre de promesses et de rêves. On allait enfin connaître le bien-être, le
monde allait changer de face, le pactole allait couler. Et la fête
continuait... tandis que les Français qui étaient encore là bouclaient leurs
valises ou attendaient, écrasés de soleil et de misère, un bateau sur les
quais ou un avion aux abords de l'aérogare.
Un soulagement pourtant se faisait jour parmi ces Français-là. Tous avaient
redouté la date fatidique du 1er juillet (référendum) et plus encore celle
du 3 juillet qui avait vu défiler sept katibas de l'ALN dans Oran. Or, rien
de ce qu'on avait craint ne s'était passé. Les enlèvements se succédaient,
certes, les attentats sournois au coin des rues, aussi, mais il n'y avait
pas eu de déferlement de la masse musulmane et le chef de détachement des
unités de l'ALN, le Capitaine Bakhti avait déclaré aux Européens : « Vous
pourrez vivre avec nous autant que vous voudrez et avec toutes les garanties
accordées par le GPRA. L'ALN est présente à Oran. Pas question
d'égorgements. Bien au contraire, nous vous garantissons une vie meilleure
que celle que vous connaissiez auparavant ! »
De plus, le général Katz, en personne, avait estimé qu’il avait pris toutes
les dispositions nécessaires pour que les manifestations du 5 juillet à Oran
se passent dans le calme le plus absolu. Avec le Capitaine Bakhti, il
s’était engagé à ce que les réjouissances algériennes ne débordent pas en
ville européenne. Pourquoi dans ce cas-là s'inquiéter plus que de coutume ?
La fête marquant la célébration de l'indépendance algérienne pouvait
commencer...
Cependant, dès l'aube, le village nègre (quartiers arabes) se mit en
mouvement et contrairement à ce qui avait été promis, ce furent des milliers
de Musulmans qui déferlèrent vers la ville européenne, s'étourdissant dans
les cris, les chants, les you-you des femmes. Rien ne laissait encore
prévoir le drame qui allait se passer. Pourtant de nombreux Européens
constatèrent que certains avaient une arme à la main et que beaucoup
d'autres tentaient de dissimuler soit un revolver, un couteau, un fusil, une
hache ou un gourdin. Le doute n'était plus permis. Alors les plus avertis se
barricadèrent et on essaya de prévenir par téléphone les amis et la famille
de ses craintes.
Place Jeanne d'Arc située devant la cathédrale, une Musulmane, après avoir
poussé une série de you-you stridents, grimpa sur le socle de la statue
équestre de la pucelle d'Orléans. On lui tendit un drapeau vert et blanc
qu'elle accrocha à l'épée que Jeanne d'Arc pointait vers le ciel. Une
immense clameur accueillit cette action. Survoltée par sa prouesse, la
mégère entreprit, toujours juchée sur le socle, une danse du ventre
endiablée, supportée en cela par des milliers de mains qui claquaient au
rythme de la danse. Il n'y avait plus de France en Algérie, il n'y avait
plus de pucelle Française. L’Algérie appartenait aux Algériens !
A midi moins dix, devant le théâtre municipal où s'était rassemblée la
foule, un silence incompréhensible s'établit soudain. Des responsables du
FLN, étaient là, encadrant la meute et semblant attendre un signe. Puis
quatre coups de feu isolés se firent entendre. C'était le signal ! Ce fut
alors que plusieurs hommes, semblant mettre à exécution un plan mûrement
réfléchi, partirent en courant dans toutes les directions, criant : « C'est
l'OAS, c'est l'OAS qui nous tire dessus !» entraînant par là même la foule
qui se mit également à courir en criant « OAS, OAS, OAS ! »
De ce rassemblement qui se devait - aux dires de Katz - être pacifique,
émergèrent soudain des hommes en armes qui, pour affoler les gens, tirèrent
dans toutes les directions - y compris sur la foule - aux cris de « OAS
assassins ! Sus à l'OAS ! »
Bientôt le feu fut dirigé sur les sentinelles françaises en faction
devant la mairie, le Château-Neuf (là précisément où se tenait l'état-major
de Katz) et l'hôtel Martinez qui hébergeait les officiers français. Après un
moment d'hésitation, les soldats français ripostèrent à leur tour avant de
se barricader. Ce fut là le point de départ du plus grand pogrom
anti-européen que l’Algérie n’eût jamais connu.
Ce qui va se passer ce 5 juillet à Oran, sera insoutenable à voir. Toutes
les limites de l'horreur seront franchies. Des centaines d'Européens seront
enlevés ; on égorgera, on émasculera, on mutilera pour le plaisir, on
arrachera les tripes des suppliciés, on remplira les ventres de terre et de
pierraille, des têtes d'enfants éclateront contre les murs comme des noix,
des hommes seront crucifiés, brûlés vifs ; des femmes seront violées puis
livrées à la prostitution ; le sang se répandra en nappes tandis qu'au
village nègre, les Européens encore vivants seront suspendus par le palais
aux crochets d’abattoir.
Comment pardonner, 48 ans après l’horreur de ce sang pleurant des
viandes… ces bouts de cadavres que l’étal tenait suspendu à ses crochets ?
Le crime est bien trop grand pour que nous n’en perdions jamais le souvenir
!
Très vite, les Européens qui ne s’attendaient pas à ce déferlement de
violence furent pris en chasse et bientôt ce ne fut qu’horreurs et
abominations.
Les cris de terreur trouvaient leur écho dans toutes les gorges des
victimes pourchassées. Il ne subsistait plus le moindre sang froid, plus le
moindre germe d'humanité... Ce n'était plus qu'une avalanche de démence et
de terreur. Le carnage était sans précédent. La puanteur uniforme de la mort
avait remplacé les odeurs multiples de la vie.
Pendant ce temps, l'armée française se barricadait dans les postes de garde
en position de surveillance. Un hélicoptère survola la ville. A son bord, le
Général Katz essayait d’apprécier la situation. D'après le rapport des
sentinelles, sur la seule place d'Armes, il y avait au moins vingt cadavres
d'Européens affreusement mutilés. Mais du haut de son appareil, le « boucher
d'Oran » - ainsi l'avaient surnommé les Oranais - crut pouvoir conclure que
la ville semblait calme (!). Tout était, apparemment, rentré dans l'ordre !
Il valait mieux éviter un affrontement avec le FLN, pensa-t-il !... et le
drapeau français fut amené pour ne pas exciter davantage la multitude.
Chaque Européen était devenu proie, gibier face à la foule terrible,
acharnée à sa joie, déchaînée, et quand ils apercevaient des véhicules de
l'armée française, en proie à la terreur, tentaient d'y grimper… ils y
étaient la plupart du temps repoussés à coups de crosse.
C'était l'épouvante parmi eux. « Mais que fait l'armée, que fait l'armée
? » disaient-ils. Ils entendaient encore les hauts parleurs des camions
militaires promener dans toute la ville, le lancinant et rassurant appel : «
Oranais, Oranaises, n'écoutez pas ceux qui vous mentent (sous-entendu,
l'OAS). L'armée est ici et restera pendant trois ans pour vous protéger. ».
C'était, les 26, 27 et 28 juin 1962 !
Des hommes en tenue de combat, rutilantes de neuf, « les valeureux soldats
de la libération », et d'autres civils armés se déversaient dans les
immeubles et en ressortaient des files d'Européens, hommes, femmes, enfants,
vieillards. Ces malheureux « convois de la mort » prenaient la direction
d'Eckmuhl, du Petit Lac et de la Ville Nouvelle, mains sur la tête, sous les
sarcasmes, les crachats, les injures, les coups et les huées de la populace.
Pour eux, c'était la fin, ils le savaient et ils priaient pour que la mort
vînt les prendre le plus vite possible et les arracher aux supplices qui les
attendaient. Avec amertume ils se remémoraient les paroles de Fouchet : « La
France n'oubliera jamais l'Algérie. Sa main sera toujours là pour
l'aider»... « Comment pouvez-vous croire que la France puisse vous
abandonner ? Vous avez la garantie d'un traitement privilégié ».
Il est vrai que le Ministre n'avait pas précisé de quel traitement il
s'agirait !... Et aujourd'hui, la ville toute entière leur paraissait une
tombe : la leur. Aucune aide de personne à attendre. Crier, appeler au
secours, tout était inutile. C'était le colonialisme et la génération
nouvelle qu'on allait détruire, voilà tout. Alors, qu'importait qu'on
saignât les enfants et qu'on ouvrît le ventre des mères, qu'on arrachât les
tripes des suppliciés et qu'on les pendît par les pieds au-dessus de braises
incandescentes...
A dix sept heures, enfin, le bruit caractéristique d'un convoi de camions se
fit entendre. C'était la gendarmerie mobile, l'âme damnée du Général Katz
qui prenait position. Dès cet instant, comme par miracle, la manifestation
prit fin et la populace disparut... mais il était trop tard.
Des centaines de cadavres jonchaient les rues, le sang avait maculé
trottoirs et rigoles, les appartements étaient dévastés, les magasins
pillés, les disparitions ne se comptaient plus, la ville avait pris le
visage de l'apocalypse.
Pourquoi cette intervention s'était-elle produite si tardivement ?
Avait-on décidé de faire payer aux Oranais leur folie, leur passion pour
l'Algérie française, leur trop grande fidélité à l'OAS ?
Où était passé le Capitaine Bakhti, l'homme fort, l'homme de confiance
de Katz, qui avait déclaré le 3 juillet qu'il n'était pas question
d'égorgement ?
La réponse est simple : Paris, qui, grâce à ses renseignements, s'attendait
à cette explosion de folie furieuse, avait ordonné à Katz « de ne pas
bouger, de laisser faire ». Et Katz, grosse brute bornée qui tirait vanité
de sa servilité - même quand il s'agissait d'assassiner ou de laisser
assassiner des Français ! - à la recherche constante d'une nouvelle étoile,
obtempéra aveuglément. Ceci est une certitude. Les preuves matérielles
foisonnent en ce sens. Ce qui est incontestable, c'est que l'ordre de Paris,
capté à la poste centrale vers 16 h 30, de faire cesser la tuerie eut
instantanément son effet. A 17 heures, tout était fini et la ville
abasourdie était plongée dans un silence de mort, de cette mort qui pendant
six heures s'était abattue sur elle. Katz quant à lui, pouvait être fier :
Il avait obéi aux ordres et une quatrième étoile allait récompenser sa
fidélité.
Cependant dans la cité meurtrie, l'angoisse étreignait les survivants.
Chacun tremblait pour les siens, les gens se cherchaient, beaucoup
demeuraient encore cachés de peur de voir la tornade s'abattre de nouveau.
Le nombre des disparitions augmentait d'heure en heure, aggravant le
tourment des familles. La morgue était pleine à craquer et une odeur fétide
s'en dégageait. On en refusa bientôt l'entrée et les corps entassés,
mutilés, étaient méconnaissables.
Dans la ville arabe et au Petit Lac, le tas des tués était plus incohérent
et plus dense. Il s'échappait une odeur fétide, insupportable, une
épouvantable pestilence. L'on pouvait voir, trempant dans des bains
répugnants, les viscères des malheureuses victimes et sur un mur, tracé
d'une main maladroite, l'on pouvait lire : « Les boyaux des Français »... Et
toujours cette liesse, et toujours ces cris « Mort aux Chrétiens ! »... Et
toujours cette foule frénétique, fanatique, cette même foule qui, quelques
mois plus tard, n'obtenant rien des promesses invoquées tout au long de la
guerre et réduite soudain à la famine, émigrera en France avec une mine
attristée et des yeux de douleur, dans cette Patrie qu'ils auront eu plaisir
à humilier et dont ils auront persécuté avec délice ses enfants.
José CASTANO
e-mail : joseph.castano0508@orange.fr
|
|